Avec la multiplication des micro-brasseries, la bière quitte le comptoir pour bien se tenir à table et trouver des terroirs d’entente avec le vin. Bienvenue dans le nouveau monde de l’œnobière.
Boisson très populaire, la bière se compose d’eau, de céréales, de levures et de houblon. Première pierre angulaire : le houblon apporte amertume et saveur. Il existe une centaine de variétés de cette plante aux propriétés apaisantes et conservatrices qui aurait été utilisée dès le XIIème siècle par Hildegarde de Bingen pour protéger la bière des bactéries. Le houblon comme la vigne a une palette organoleptique différente selon le lieu où il est planté. Les autres fondamentaux de la bière sont les levures qui comme pour le vin, peuvent être plus ou moins naturelles. Et les céréales telles que l’orge, le blé, le seigle, car elles participent au maltage.
Une consommation croissante
En France, la bière est la seule boisson alcoolisée dont la consommation augmente (32 litres/hab en 2019) et cela, en faveur des bières artisanales. Aujourd’hui, ce marché de la bière artisanale, en pleine évolution, est évalué à plus de 300 M€. Le taux de croissance annuel est évalué à +14,1% dans le monde entre 2022 et 2027. Une réalité bien assimilée par les micro-brasseries. Ces dernières espèrent s’installer parmi les leaders des brasseurs « Craft ».
« L’industrie utilise des extraits quand les micro-brasseries sélectionnent des variétés de houblon de qualité, ce qui participe au prix de revient de la bière artisanale. Les coûts de production sont dix fois plus élevés que pour la bière industrielle. Les brasseries artisanales sortent des recettes originales, consacrent 3 semaines à 2 mois et parfois plus au brassage puis à l’élevage. Ce temps est trop long pour une bière industrielle. », relate Antoine Blain, co-associé au Réservoir à Montpellier.
Une économie circulaire
Cultures vinicole et brassicole semblent trouver un terroir d’entente. L’utilisation des grappes, marc ou moût de raisin pour élaborer des bières fait fusionner les deux mondes. À en croire les brasseries de Montpellier et de la métropole : « Les méthodes de fermentation de certaines bières sont assez proches du vin. Certains d’entre-nous se sentent à la croisée des chemins entre la bière artisanale et les vins natures. »
Sacrilège compte 200 barriques d’occasion de domaines réputés (Peyre Rose, Mortiès, Daumas Gassac) auxquelles s’ajoutent 4 foudres de 35 hl. L’élevage peut être porté à 6 mois dans des fûts de plusieurs vins. Et cela engendre des bières plus complexes. Ainsi, la bière bénéficie d’une lente oxygénation. « Lors des vendanges 2019, un essai a été mené avec le domaine de Mortiès et la micro-brasserie La Barbote spécialisée dans les fermentations mixtes et naturelles », explique Léo Roux, brasseur chez Sacrilège. Le domaine de Mortiès produit du vin en biodynamie sur le versant sud du pic Saint-Loup entre Saint-Jean-de-Cuculles et Cazevieille.
« Avec lui, nous travaillons en économie circulaire. Il fournit le marc ou le moût pour nos bières qu’on leur redonne par la suite », poursuit-il. De retour au domaine, ces résidus sont distillés ou transformés en compost.
La fusion de deux univers
La suite de l’aventure, ce sont des bières sur marc de carignan, de viognier, élevées plusieurs mois en fûts. Léo Roux parle de bières hybrides, entre un vin primeur et une bière rustique. Un produit qui commence à percer dans la culture vigneronne et sur les marchés brassicoles. Puis Sacrilège développe des assemblages avec des bières de style Grape Ale à base de raisin bio fermenté de syrah, grenache et cinsault servies en pression (5,80€ les 25 cl).
À Lavérune, la brasserie La Malpolon défend les fermentations mixtes en levures indigènes ou sauvages (la réglementation anglo-saxonne parle de Wild Beer). « Sur ce créneau nature, on produit des bières complexes pour un public de connaisseurs épicuriens. Ces bières de garde vieillies en fûts s’adressent aux cavistes et à la gastronomie. La bière hybride entre bière et vin valorise le local et le terroir. On explore des techniques, des recettes et des styles inspirés des bières fermières du nord de la France », assure Rémi Gliozzo, gérant de La Malpolon
Ces œnobières sont issues d’assemblage de moûts de bière et de raisin, de marc, ou de grappes. Avec trois profils – Grappe Rouges (Bière sauvage sur marc de raisin cinsault, syrah), Grappe Blancs (Grape Ale, assemblage de bières sauvages sur marc de grenache blanc et marsanne 2021) et Quart de Rouge (Grape Ale élaborée en co-fermentation de jus d’orge, de blé avec cinsault et carignan) – Rémi Gliozzo déclare exporter ces œnobières du Languedoc en Europe. Mais ce dernier soutient que des marchés s’ouvrent en Asie et aux States. Ce brasseur estime la demande d’hybride bière-vin mondiale.
Une demande mondiale
« Ces bières complexes s’inscrivent dans la mouvance du vin nature et du pétillant naturel. Cette niche représente 30% de notre production. Leur prix va de 10€ à 18€ la bouteille de 75 cl. L’avantage est leur faible degré d’alcool – de 6 à 9 degrés – qui reste inférieur au vin », souligne Rémi Gliozzo, gérant de La Malpolon.
La bière au raisin (Grape Ale) relancée en Italie dans les années 2000 suit plusieurs tendances. Les techniques d’élaboration évoluent donc de l’utilisation de raisin, de marc ou de moût de raisin aux assemblages, aux fermentations spontanées ou contrôlées suivies de vieillissements en fûts plus ou moins longs. Depuis 2015, ces techniques sont discutées par le Beer Judge Certification Program – un organisme américain qui réunit les familles de bières dans un guide de styles.
La tendance suscite donc un débat sur la définition des styles d’œnobières, ouvre de nouveaux champs d’expérimentation et de consommation dans la lignée des bières artisanales et des vins natures. Si certains vignerons se mettent aussi à brasser, l’engouement pour la bière participe enfin à la diffusion de connaissances vinicoles et brassicoles aux jeunes générations. Mais l’intérêt pour ces bières va bien au-delà de cette classe d’âge.
Christelle Zamora
A consulter : Article paru dans le numéro 43 de Côté Montpellier, le 7 septembre 2022.
Épiphénomène ou tendance, l’œnobière prend ses quartiers à Montpellier
Avec la multiplication des micro-brasseries, la bière quitte le comptoir pour bien se tenir à table et trouver des terroirs d’entente avec le vin. Bienvenue dans le nouveau monde de l’œnobière.
Boisson très populaire, la bière se compose d’eau, de céréales, de levures et de houblon. Première pierre angulaire : le houblon apporte amertume et saveur. Il existe une centaine de variétés de cette plante aux propriétés apaisantes et conservatrices qui aurait été utilisée dès le XIIème siècle par Hildegarde de Bingen pour protéger la bière des bactéries. Le houblon comme la vigne a une palette organoleptique différente selon le lieu où il est planté. Les autres fondamentaux de la bière sont les levures qui comme pour le vin, peuvent être plus ou moins naturelles. Et les céréales telles que l’orge, le blé, le seigle, car elles participent au maltage.
Une consommation croissante
En France, la bière est la seule boisson alcoolisée dont la consommation augmente (32 litres/hab en 2019) et cela, en faveur des bières artisanales. Aujourd’hui, ce marché de la bière artisanale, en pleine évolution, est évalué à plus de 300 M€. Le taux de croissance annuel est évalué à +14,1% dans le monde entre 2022 et 2027. Une réalité bien assimilée par les micro-brasseries. Ces dernières espèrent s’installer parmi les leaders des brasseurs « Craft ».
« L’industrie utilise des extraits quand les micro-brasseries sélectionnent des variétés de houblon de qualité, ce qui participe au prix de revient de la bière artisanale. Les coûts de production sont dix fois plus élevés que pour la bière industrielle. Les brasseries artisanales sortent des recettes originales, consacrent 3 semaines à 2 mois et parfois plus au brassage puis à l’élevage. Ce temps est trop long pour une bière industrielle. », relate Antoine Blain, co-associé au Réservoir à Montpellier.
Une économie circulaire
Cultures vinicole et brassicole semblent trouver un terroir d’entente. L’utilisation des grappes, marc ou moût de raisin pour élaborer des bières fait fusionner les deux mondes. À en croire les brasseries de Montpellier et de la métropole : « Les méthodes de fermentation de certaines bières sont assez proches du vin. Certains d’entre-nous se sentent à la croisée des chemins entre la bière artisanale et les vins natures. »
Sacrilège compte 200 barriques d’occasion de domaines réputés (Peyre Rose, Mortiès, Daumas Gassac) auxquelles s’ajoutent 4 foudres de 35 hl. L’élevage peut être porté à 6 mois dans des fûts de plusieurs vins. Et cela engendre des bières plus complexes. Ainsi, la bière bénéficie d’une lente oxygénation. « Lors des vendanges 2019, un essai a été mené avec le domaine de Mortiès et la micro-brasserie La Barbote spécialisée dans les fermentations mixtes et naturelles », explique Léo Roux, brasseur chez Sacrilège. Le domaine de Mortiès produit du vin en biodynamie sur le versant sud du pic Saint-Loup entre Saint-Jean-de-Cuculles et Cazevieille.
« Avec lui, nous travaillons en économie circulaire. Il fournit le marc ou le moût pour nos bières qu’on leur redonne par la suite », poursuit-il. De retour au domaine, ces résidus sont distillés ou transformés en compost.
La fusion de deux univers
La suite de l’aventure, ce sont des bières sur marc de carignan, de viognier, élevées plusieurs mois en fûts. Léo Roux parle de bières hybrides, entre un vin primeur et une bière rustique. Un produit qui commence à percer dans la culture vigneronne et sur les marchés brassicoles. Puis Sacrilège développe des assemblages avec des bières de style Grape Ale à base de raisin bio fermenté de syrah, grenache et cinsault servies en pression (5,80€ les 25 cl).
À Lavérune, la brasserie La Malpolon défend les fermentations mixtes en levures indigènes ou sauvages (la réglementation anglo-saxonne parle de Wild Beer). « Sur ce créneau nature, on produit des bières complexes pour un public de connaisseurs épicuriens. Ces bières de garde vieillies en fûts s’adressent aux cavistes et à la gastronomie. La bière hybride entre bière et vin valorise le local et le terroir. On explore des techniques, des recettes et des styles inspirés des bières fermières du nord de la France », assure Rémi Gliozzo, gérant de La Malpolon
Ces œnobières sont issues d’assemblage de moûts de bière et de raisin, de marc, ou de grappes. Avec trois profils – Grappe Rouges (Bière sauvage sur marc de raisin cinsault, syrah), Grappe Blancs (Grape Ale, assemblage de bières sauvages sur marc de grenache blanc et marsanne 2021) et Quart de Rouge (Grape Ale élaborée en co-fermentation de jus d’orge, de blé avec cinsault et carignan) – Rémi Gliozzo déclare exporter ces œnobières du Languedoc en Europe. Mais ce dernier soutient que des marchés s’ouvrent en Asie et aux States. Ce brasseur estime la demande d’hybride bière-vin mondiale.
Une demande mondiale
« Ces bières complexes s’inscrivent dans la mouvance du vin nature et du pétillant naturel. Cette niche représente 30% de notre production. Leur prix va de 10€ à 18€ la bouteille de 75 cl. L’avantage est leur faible degré d’alcool – de 6 à 9 degrés – qui reste inférieur au vin », souligne Rémi Gliozzo, gérant de La Malpolon.
La bière au raisin (Grape Ale) relancée en Italie dans les années 2000 suit plusieurs tendances. Les techniques d’élaboration évoluent donc de l’utilisation de raisin, de marc ou de moût de raisin aux assemblages, aux fermentations spontanées ou contrôlées suivies de vieillissements en fûts plus ou moins longs. Depuis 2015, ces techniques sont discutées par le Beer Judge Certification Program – un organisme américain qui réunit les familles de bières dans un guide de styles.
La tendance suscite donc un débat sur la définition des styles d’œnobières, ouvre de nouveaux champs d’expérimentation et de consommation dans la lignée des bières artisanales et des vins natures. Si certains vignerons se mettent aussi à brasser, l’engouement pour la bière participe enfin à la diffusion de connaissances vinicoles et brassicoles aux jeunes générations. Mais l’intérêt pour ces bières va bien au-delà de cette classe d’âge.
Christelle Zamora
A consulter : Article paru dans le numéro 43 de Côté Montpellier, le 7 septembre 2022.
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